Le cahier perdu : l’écho du passé qui ressurgit

Publié le 9 mai 2025

À la cinquantaine, elle croyait son cœur apaisé, son existence réglée comme une horloge. Pourtant, la découverte d'un vieux carnet abandonné va ébranler ses convictions et réveiller des secrets enfouis. À Nantes, entre non-dits et souvenirs refoulés, une vérité longtemps fuie se révèle enfin.

Une existence paisible bouleversée

Elle apprécie son quotidien sans enfants, sans obligations familiales, libre comme l’air. Jusqu’à ce qu’un carnet anonyme, découvert sur son sofa, fasse ressurgir des souvenirs qu’elle pensait à jamais oubliés. Une photographie jaunie, une date précise, un nourrisson blotti contre elle… Et cette voix, dans ses nuits, qui murmure « Maman » avec insistance.

Aujourd’hui, je ne somnole pas. L’appel est bien réel, juste derrière mon dos. Étouffé, mais distinct. Je me redresse avec lenteur, chaque mouvement paraît irréel. Mon cœur bat la chamade comme les cloches du beffroi de Nantes à midi pile. D’une main tremblante, j’écarte le voilage.

Rien.

Seule la cour intérieure de ma résidence du quartier Bouffay, et les fenêtres de l’immeuble d’en face. Je reste pétrifiée. Puis mon regard est attiré vers le sol. Une forme sombre. Un carnet. Non, ce carnet. Échoué sur le carrelage. Je m’en saisis. Une page dépasse légèrement.

Un acte de naissance. Clémence D., venue au monde un 17 août 1981, à l’Hôpital Hôtel-Dieu de Nantes. Mention concernant la mère : non renseignée.

Mémoire ensevelie

Je m’affale sur le canapé, les paumes moites. Cette date. Ce prénom. Je fouille dans ma mémoire comme on explore un vieux coffre, soulevant la poussière des années. Soudain, une image émerge.

J’ai dix-sept ans. La peur au ventre. Une chambre d’hôpital impersonnelle. Les cris d’un nouveau-né. Ma mère à mon chevet, le visage fermé. « C’est ce qu’il y a de mieux pour tout le monde », avait-elle déclaré. On ne m’a même pas permis un dernier baiser. On l’a emportée. Je me suis murée.

J’ai tout enterré au plus profond de moi.

Une recherche imprévue

Au petit matin, après une nuit d’insomnie, je me dirige vers le service d’état civil nantais, place Louis XVI. Mes doigts tremblent lorsque je tends le précieux carnet à l’employée derrière le guichet. Son regard se fait curieux tandis qu’elle tape quelques mots sur son clavier.

« La personne que vous recherchez se nomme effectivement Clémence D. Elle a entamé des démarches pour connaître ses origines en 2001, mais n’a jamais obtenu de réponse. »

Un tsunami émotionnel me submerge. Ce prénom, ce visage fantomatique. Une enfant que j’ai portée. Une maternité que j’ai fuie. Par lâcheté, par pression sociale, par devoir. Mais aujourd’hui, tout est différent. J’ai besoin de réponses. De la retrouver.

Une piste, une lueur

Grâce à l’aide discrète d’une travailleuse sociale, je finis par mettre la main sur une adresse. Clémence réside à Nantes, dans le secteur Chantenay, à quelques encablures seulement de mon domicile. Deux jours durant, je tourne en rond, hésitant à franchir le pas. Puis, un dimanche matin, je saute le pas.

Je glisse un mot dans sa boîte aux lettres. Pas de grandes phrases, non. Juste quelques mots sincères :

« Je pense être celle que tu cherches. Si tu veux me voir, je serai au Café Penché, chaque lundi à 10h. — Aline. »

Un rendez-vous sous la pluie

Ce lundi particulier, une bruine fine s’abat sur Nantes, cette pluie légère si caractéristique de la région. Je m’installe au fond du Café Penché, rue des Olivettes. Le serveur me connaît bien et m’apporte mon habituel : un expresso serré, sans sucre.

10h10. Mon espoir commence à s’émousser. Puis la porte grince.

Elle entre.

La ressemblance est frappante. Ces mêmes yeux noisette pétillants, cette posture fière. Elle s’approche, un sourire timide aux lèvres.

« C’est vous ? »

Je réponds d’un hochement de tête. Elle prend place face à moi. Les mots nous manquent, alors je tends simplement la main. Elle la saisit. Une décharge électrique me parcourt l’échine.

Renouer les fils

Nous restons là, à échanger pendant des heures. Nos parcours. Nos manques. Nos non-dits. Elle est illustratrice jeunesse, passionnée de littérature enfantine, vit en couple avec une femme depuis près d’une décennie, et caresse le projet d’adoption.

« Tu veux qu’on apprenne à se connaître ? » me propose-t-elle en quittant l’établissement.

Je ne réponds pas. Je l’étreins simplement dans mes bras.

Un nouveau chapitre

Un an s’est écoulé depuis ces retrouvailles. Nous nous voyons religieusement chaque mercredi. Elle m’a présenté sa compagne, Juliette. Ensemble, elles m’ont emmenée découvrir une exposition à la HAB Galerie. Nous avons pique-niqué au bord des eaux tranquilles de l’Erdre. Et il y a trois mois, elles m’ont posé LA question : accepterais-je d’être la marraine de leur futur enfant ?

Je vis toujours seule entre quatre murs. Mais je ne suis plus esseulée.

Des éclats de rire résonnent désormais, des coups de fil impromptus, des messages à toute heure. Il y a Clémence. Ma fille retrouvée.

Un nouveau départ

L’existence ne suit rarement les trajectoires que nous traçons. Parfois, elle zigzague. Parfois, elle offre une rédemption inespérée.

Et parfois, derrière un simple rideau, elle nous chuchote ce que nous avons refusé d’entendre pendant des décennies.

Maman.